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dogra magra

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sadako:
J'ai créé un sujet rien que pour ce bouquin, pour attirer les curiosités vers cette expérience de lecture unique au monde.
En fait ce n'est pas qu'un livre, que j'ai mis longtemps avant d'ouvrir enfin, ce n'est pas qu'un pavé de plus de 800 pages écrit par Yumeno Kyûsaku, c'est un objet de culte au Japon, un chef-d'oeuvre absolu, un sujet de thèses et d'études sans fin, un objet singulier, particulier, publié dans un grand silence en 1935, lu par quelques lettrés seulement, puis redécouvert dans un grand bruit en 1962, et depuis l'objet d'une fascination illimitée, réputation qui m'avait intimidé lorsque j'en avais entendu parler il y a longtemps maintenant, puis je m'étais dit "comme d'habitude on éxagère", enfin, à la faveur d'une réédition en poche par Piquier (rendons-lui hommage de metre à notre portée les plus beaux bijoux de la littérature extrême-orientale), je me suis décidé, je l'ai lu, et finalement, j'en suis victime, de cette fascination, moi aussi, eh oui.

Comment dire ? Un jeune homme se réveille à l'aube dans une chambre d'asile psychiâtrique de l'université de Kyûshû, sans mémoire. Il découvre assez vite que son identité est l'un des enjeux du duel sans merci que se livrent, au sein de cette université et sur le reste de la planète et depuis très longtemps, le médecin-légiste Wakayabashi et le psychiâtre Masaki. Le roman est classé et se définit lui-même comme policier, et en effet nous sommes dans une affaire de meurtres très compliquée, et l'enquête sur cette affaire brasse tout le temps et l'espace, depuis les origines du monde et de la vie, jusqu'à l'éternité de la réincarnation des êtres. Mais ce n'est pas qu'un roman policier, c'est l'essence même du roman en tant que genre littéraire qui nous est révélée ici, à savoir une fiction, un songe, un mensonge.
Et dans celui-ci justement, plus que dans tout autre que j'ai jamais lu jusqu'à présent, il y en a, des faux-semblants, des demi-vérités, des coups de théâtre qui s'enchaînent à vitesse croissante, des révélations presque aussitôt démenties, qui dit la vérité ? qui est fou ? C'est une immense toile d'araignée au centre de laquelle les docteurs guettent leur proie, mais ce n'est pas seulement ce supposé malade mental narrateur leur victime, c'est le lecteur aussi, dont l'esprit est mis à rude épreuve, chaque détail, même et surtout le plus insignifiant, chaque digression par rapport à l'intrigue, même lointaine, est une bombe à retardement qui explose quelque pages (parfois des centaines) plus loin. Et peut-être même que cette toile n'est qu'illusion, peut-être que rien n'est vrai, la folie, l'illusion guettent à chaque page.
Construit comme un labyrinthe ou un puzzle, aussi bien narrativement que stylistement, empruntant à cet égard, sur le mode du pastiche ou de la parodie, au roman naturaliste, à la légende chinoise, au roman classique de samourai, au rapport scientifique, à l'expertise médicale, à l'enquête de police, au roman policier, au roman fantastique, aux textes illuminés bouddhiques, à la poésie, au rakugo, au kabuki, aux prêches de moines itinérants, au cinéma même. Chaque mot peut avoir un double ou un triple sens (et on dit bravo au traducteur), les mots-valises, les jeux de mots, les emprunts parfois humoristiques aux langues étrangères (l'anglais surtout), les références scientifiques, religieuses, il y a tout ça dans ce texte, et pourtant, magie : ça se lit, ça se dévore avec un appétit féroce, facilement, même les passages qu'on pressent abscons ou chiants, même les plus apparemment indigestes trouvent leur place dans ce plat complet, sont indispensable si on veut espérer trouver la clé de l'énigme, car c bien un jeu que nous propose Yumeno, un jeu aux multiples dérogations possibles aux règles, voire sans règle du tout, un jeu de dupe en quelque sorte où je me suis pris avec délice.
Il y a un début, il y a une fin ? Oui, mais même ça, pas sûr... Quant au titre, le traducteur français l'a, en rômaji, mal orthographié exprès (on devrait lire "dogura magura"), puisqu'il est l'une des clé de cette affaire, erreur volontaire donc qui trouve son sens dans le texte. Même là, rien que pour le titre, il a fallu faire un effort, bravo le traducteur.
Je ne peux que vous encourager à plonger dans cette infernale (et l'adjectif n'est pas choisi au hasard, lisez et vous comprendrez) spirale, dans cette enquête qui, tout en se déroulant en une journée, plonge jusqu'à l'origine de la vie sur Terre, un sacré défi. Mais ne vous attendez pas à un syncrétisme-business à la Da Vinci code, vous seriez déçus^^

Sano:
Wow m'a l'air bien sympa tout ça. Bon j'ai une tonne de bouquins à acheter mais celui là sera dans les premiers. Le seul policier japonais que j'ai pu lire c'est le village aux 12 tombes (ou 8  tombes je ne sais plus... :?), d'un auteur policier assez connu au Japon il me semble... En tout cas j'avais bien apprécié, avec une position narrative différente de ce que l'on peut voir habituellement (l'enquêteur ou son acolyte). Pis un petit côté mystique....enfin intemporel puisque ce roman se situe dans un village dénué de toute modernité, aux moeurs bien anciennes et dans un décors qui rappelle énormément le Japon féodal. Bref j'avais bien aimé alors une petite aventure policière japonaise de plus me ravira je pense... même si elle est de 800 pages ^^''

sadako:
Le village aux huit tombes, de Yokomizo Seishi.  Ah oui la littérature policière japonaise vaut le coup d'oeil, vraiment.
Mais ATTENTION : Dogra magra n'est pas une petite aventure policière de plus, chers amis, non, c'est l'ouvrage le plus fascinant qui soit, tout simplement ^^ (comment ça "j'en fais trop" ?^^)

Ryosan:
Ah moi qui cherchais de quoi lire pendant les longs trajets de fin d'année, je crois que tu m'inspires un achat, sadako. Ca tombe bien, je viens de finir de lire La pierre et le sabre et La parfaite lumière pour la seconde fois. Quand je pense que j'étais à la Fnac hier, si j'avais lu ce topic avant... grrr :x

sadako:
Ah désolé. Mais finalement c pas grave, un bouquin de 1935 peut bien attendre encore quelques jours de plus^^  J'aimerais bien qu'avec le temps on soit pleins à le lire et qu'on confronte nos opinions et interprêtations, chuis prêt à  croire qu'il y en aurait presque autant que de lecteurs, tellement ce livre est riche et dense.

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