Joint Security Area est le troisième long métrage du réalisateur Coréen Park Chan-wook. Plus grand succès commercial de l'histoire du cinéma coréen, Joint Security Area fut également crédité d'une grande renommée hors de ses frontières, en remportant entre autres le grand prix du festival du film asiatique de Deauville en 2001. A l'heure où Park Chan-wook fait à nouveau parler de lui avec Old Boy, primé au festival de Cannes cette année, il est intéressant pour le public Français de découvrir ses deux précédentes réalisations, à savoir Sympathy For Mr. Vengeance (2002) et Joint Security Area (2000). Cependant, je ne parlerai ici que de ce dernier, qui est peut être celui aui aura suscité le plus d'intérêt chez moi.
Joint Security Area est un thriller politico-militaire adapté du roman "DMZ" (DeMilitarized Zone) de Sang-yeon Park et dont le scénario s'établit sur la base d'un fait divers ayant réellement eu lieu en 1976. Le film jouissant d'un contexte politique particulier que tout le monde n'est pas censé connaître, je me vois donc contrainte de l'énoncer brièvement ici. La Corée du Nord et la Corée du Sud furent divisées en 1945. La "Zone Commune de Sécurité" (Joint Security Area) se trouve à Panmunjom (à vos souhaits), un petit village coréen situé à la frontière des 2 Corées. En octobre 1951, ce village servit de zone neutre aux multiples rencontres entre les représentants de l’ONU et les sino-Coréens. Après d’âpres négociations, un armistice fut enfin signé en juillet 1953. Toutefois, le pays resta coupé en deux. Côté Nord se trouvent les Coréens convaincus par le modèle communiste et soutenus par le régime de Moscou. Côté Sud se trouvent d’autres Coréens séduits par le modèle capitaliste et appuyés par Washington. Ainsi, la frontière est devenue une zone démilitarisée où ni le Nord ni le Sud n’ont de juridiction administrative. Néanmoins, on peut se douter des tentions qui règnent encore entre les deux Corées. Dès lors, Joint Security Area soulève en partie une question importante : que se passerait-il si ce baril de poudre qu'est cette zone venait à s'enflammer ?
Le film débute par une séquence nocturne (au passage magnifiquement filmée) qui nous place directement en plein coeur de cette zone, sur le pont dit de "non-retour" (qui servit à l'échange de prisonniers de guerre en 1953) qui se voit marquer en son centre d'une ligne de béton symbolisant la frontière. De chaque côtés de ce pont se trouvent des avant-postes gardés par des soldats, appuyés de leurs sergents. Bref, en cette nuit de 28 octobre survient un accident lors duquel un sergent Sud-Coréen se retrouve blessé par balle après avoir abattu deux soldats de l’avant-poste Nord-Coréen. Ayant pris la fuite, des soldats alliés viennent rapidement le récupérer alors qu'il tentait de regagner tant bien que mal le Sud via le pont. Le lendemain de l'incident, la Commission de Supervision des Nations Neutres, formée de la Suède et de la Suisse, dépèche alors sur le terrain le major Sophie E. Lang, Suisse d'origine Sud-Coréenne, afin d'enquêter sur cette affaire. Rapidement, elle se verra confrontée à deux versions des faits, établies par les deux parties et provenant d'une part du sergent Sud-Coréen Lee Soo-Yeok (le rescapé), d'autre part du sergent Nord-Coréen Ho Kyong-Pil (lui aussi rescapé alors qu'il se trouvait dans l'avant-poste). Le premier parle d'un kidnapping alors que le second se défend d'être la victime d'un cruel assassinat. En plus de cela, notre brave Sophie devra à tout prix empêcher les esprits de s'échauffer. Sur cette base proche des thrillers classiques, un voile est d'ores et déjà levé d'office concernant l'identité du coupable. Cela dit, des indices laissent à supposer que les choses ne se sont pas produites comme on aurait pu l'imaginer. Dès lors, la véritable question à se poser ne sera pas "Qui ?" mais "Pourquoi ?". Non content de faire de la première partie de son film une très bonne enquête policière digne de Columbo (le charme de Sophie en plus), Park Chan-wook insufle brusquement à son film une seconde ligne narrative, sous forme d'un très long flash-back qui nous fera remonter quelques mois en arrière. Durant cette séquence (et pour faire court), on apprendra que Lee Soo-Yeok (oui, je sais, ils sont bien pompeux les noms Coréens) s'est fait sauver par les deux Nord-Coréens qui occupent l'avant-poste adverse alors qu'il s'était pris le pied dans une mine (pas de bol !) lors d'une mission de routine. Ainsi, au fil du temps se sont tissés des liens entre les trois hommes, Lee Soo-Yeok rendant souvent visite à ses nouveaux "camarades" (qu'il appelera même "frères" par la suite), et allant jusqu'à entraîner l'un de ses confrères à participer à ses escapades. Et là, le film prend soudainement une dimension très humaine, en montrant des hommes qui franchissent une frontière pour retrouver leurs semblables, et ce malgré des convictions idéologiques radicalement opposées. Joint Security Area devient même l'un de ces films qui émeuvent tant les symboles sont forts, le tout appuyé par des dialogues souvent riches de sens et profondément humains, fraternels (snif, snif, mais non, ce n'est pas un film romantique non plus, c'est des soldats, hein !)... Park Chan-Wook montre parfois ses protagonistes comme s'ils étaient puérils, les assimilant à des enfants conditionnés par des règles qu’ils ne comprennent pas forcément, et qu’ils n’arrivent pas à concilier avec leurs propres sentiments. Mais comme toute chose à une fin, on se doute que le dénouement de cette joyeuse amitié sera cruel, avec des morts et du sang à la clé.
Non content de nous offrir un scénario captivant et bien ficelé, Park Chan-wook ajoute une troisième ligne narrative dans la troisième partie de son film, en dévoilant le passé compromettant de la charmante Sophie et surtout de son père (mais chut, je ne dévoilerai rien d'autre à ce sujet), nous agrémentant au passage de superbes scènes historiques façon documentaire en noir et blanc. Quant à la fin du film, elle est extrêmement pessimiste et j'avoue que j'ai eu du mal à retenir mes larmes. Gageons que cette fin restera longtemps dans les esprits de ceux qui auront vu ce film. Niveau réalisation, Joint Security Area ne souffre pas de défauts majeurs, et certains effets spéciaux en images de synthèse (wouah c'te luxe !) sont plutôt réussis. Les scènes d'introduction et de conclusion sont vraiment bien faites, ainsi que les scènes nocturnes ou en plein air (dans un champ immense, dans une vaste étendue enneigée, etc...) qui bénéficient de quelques judicieux éclairages et jeux d'ombres. Les quelques scènes d'action ou de guerre sont aussi du plus bel effet, et Park Chan-wook ne se refuse pas à quelques scènes violentes voire malsaines (l'excellente scène d'autopsie commune aux films de ce type), aspects que l'on retrouvera décuplés dans Sympathy For Mr. Vengeance. Et cela sans oublier la présence de quelques détails tels qu'un travelling circulaire au cours du film, qui tendent à rendre des scènes inoubliables. Certes, on pourrait chipoter à propos de la bande son, plutôt discrète là où un film hollywoodien aurait mis le paquet, mais le film est si bon qu'il n'en pâtit pas. Enfin, le jeu des acteurs est irréprochable, que ce soit les premiers ou les seconds rôles, et on peut trouver parmi eux l'acteur Song Kang-Ho qui s'illustrera dans Sympathy For Mr. Vengeance en incarnant un père de famille prêt à tout pour venger la mort de sa fille. Que dire de plus, si ce n'est que ce film est un peu un mélange de Spielberg et de McTiernan à la sauce Coréenne et que je vous conseille de vous le procurer au plus vite pour enfin pouvoir considérer le cinéma Coréen comme il se doit.